Justine Niogret - Calamity Jane, un homme comme les autres

A INSCRIRE SUR VOS TABLETTES - CE LIVRE SORTIRA LE 4 SEPTEMBRE

« Que vous sert, courtisane imparfaite, de n'avoir pas connu ce que pleurent les morts ? »

C'est par ces mots que Baudelaire concluait son Remords posthume. Dans un genre et pour une vie largement différents, ces mêmes mots pourraient s'appliquer à la Calamity Jane racontée par Justine Niogret.

Calamity Jane donc. Tout le monde la connaît, même ceux, dont je suis, qui ne savent à peu près rien d'elle. Légende de l'Ouest, femme pistolera, Jane est de ces figures dont on sait le nom sans pouvoir se rappeler quand ni comment on l'a entendu pour la première fois, comme Billy le Kid, Davy Crockett ou Buffalo Bill (dont le Wild West Show, auquel appartint Calamity Jane, fit une escale à Marseille en 1905 - sans Jane, à cette date elle était morte et enterrée depuis deux ans).

Calamity Jane donc. Dont le vrai nom était Martha Jane Cannary et qui était née en 1856 dans une famille pauvre de Princeton, Missouri. Première de six enfants, Martha avait des parents dont on dira simplement qu'ils n'assuraient pas le meilleur cadre de vie possible à leurs enfants et qu'aux difficultés de la vie des pionniers ils ajoutaient leur part qui n'était pas négligeable.

Long story short, misère, dettes de jeu, déménagement (fuite) dans le Montana, mort de la mère, déménagement dans l'Utah, mort du père. Martha prend en charge ses frères et sœurs et les emmènent dans le Wyoming. Après avoir fait un peu tout pour survivre, Martha, qui monte et tire bien, aurait été recrutée comme guide (scout) à Fort Russell ; elle aurait, durant la même période, travaillé comme prostituée au Fort Laramie Three-Mile Hog Ranch, l'un des bordels militaires de la cavalerie.


Tu auras remarqué, lecteur (car ta sagacité est rarement prise en défaut), que j'ai utilisé plusieurs fois le conditionnel. Etonnant pour un personnage qui a vécu à une époque où la documentation biographique était efficace. Explication ci-dessous.

« Quand la légende est plus belle que la réalité : imprimez la légende », cette citation de L'homme qui tua Liberty Valence, un western justement, s'appliquerait parfaitement à Calamity/Martha.

Ci-dessus, l'un de ses portraits connus. Ceci est une photographie. Ceci est vrai. Le reste...

Déjà Wikipedia n'est pas d'accord avec lui-même sur sa date de naissance, c'est dire. Le Wiki français (comme Justine Niogret) la fait naitre en 1852 quand le Wiki US lui fait fait voir le jour en 1856. Sur sa date de mort au moins, pas d'ambiguïté : 1er août 1903. Là on est sûr parce qu'entre temps Calamity/Martha était devenue assez célèbre pour qu'on puisse la tracer précisément. Célèbre voire légendaire de son propre fait (comme Conan s'est fait roi de ses propres mains). Célèbre car elle passa la plus grande partie de sa vie à la raconter, à façonner une histoire dont les parts de vérité et d'invention sont incertaines.

De fait, Calamity/Martha passa une bonne partie de sa vie à raconter pour un public, admiratif ou ironique, ce qu'elle disait avoir été sa vie. Comment elle gagna le surnom de Calamity Jane en sauvant la vie d'un capitaine de cavalerie nommé Egan (pas Greg), comment elle participa à maintes opérations de répression en terre indienne, comment elle vécut un temps à Deadwood (ville frontière rendue notoire par une série télé) et y épousa (aurait épousé) Wild Bill Hickok dont elle eut (aurait eu) des enfants. Etc.


Qu'y a-t-il de vrai dans tout ça ? Hormis sa grande taille, ses habits d'homme, son nom de baptême, un surnom qui claque, une grande gueule, une dépression qui la paralyse souvent et un alcoolisme qui la détruira lentement mais sûrement, sans oublier un ou deux enfants avérés, peu de choses sont sûres. Elle qu'on disait « reine des plaines » ou « diable blanc » – suivant qui parlait – vécut derrière l'écran de fumée d'une biographie inventée qu'elle colportait aux quatre coins de l'Ouest.


Sur ce personnage tragique qui ne pouvait finir que tragiquement, Justine Niogret a décidé de poser son regard et d'essayer de trouver (ou d'imaginer) la femme derrière l'icone. The skull beneath the skin, chantait Megadeth, le roman de Niogret, lui, s'intitule Calamity Jane, un homme comme les autres.

C'est au fil d'un long voyage dans sa mémoire et sa conscience alors que, récemment décédée, tuée par trop d'alcool, elle subsiste dans un entre-deux où son démon personnel la suit, que Calamity/Martha devra, pour pouvoir poursuivre, accepter de dire, accepter de s'ouvrir, accepter d'être honnête au moins avec elle-même. Dire le prix de la liberté, le refus du bonheur, la dureté surjouée, la peur du plaisir et celle de l'attachement, la douleur intime de n'être jamais touchée vraiment ni de pouvoir toucher elle-même. La douleur aussi, sans doute, de mouvoir ce corps de femme en habits d'homme dans un monde d'hommes ; trop grande, trop costaud et pas assez jolie, pas assez femme donc, pour être une lady, et pourtant, pour tous, une femme quand même, donc parfaitement déplacée dans ce monde d'hommes qu'était l'Ouest. Une bizarrerie, obligée à se travestir pour aller à sa guise, entrainée à mentir et à dissimuler pour survivre.

Justine Niogret, en démon intime de Calamity/Martha, donne la parole à la femme derrière le mythe et l'incite à réapparaitre, par petites touches, sans jugement ni pression, comme au fil d'une longue thérapie dont l'objet est ici de comprendre et pas de soigner. Car pour soigner il est trop tard. Pour l'éternité et pour tous sauf toi, lecteur, Calamity a dévoré Martha.


Calamity Jane, un homme comme les autres, Justine Niogret

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